Éclosion d’or et de sucres : la Loire qui coule douce

On croit parfois tout savoir sur la douceur angevine. Les bords du Layon, la brume qui caresse la vigne, le chenin mûri à point sur schistes et sables. Les vins moelleux de Loire sont la caresse dorée des desserts, le souffle sucré sur la langue. Mais faut-il y voir toujours la main invisible du chenin blanc, cépage insigne ? Question limpide… mais réponse nuancée.

Portrait du roi : le Chenin, pilier des vins moelleux ligériens

Il habille les coteaux du Layon, les pierres de Bonnezeaux, les brumes de Quarts-de-Chaume. Le chenin blanc, cépage millénaire – peut-être originaire du château de Chenonceau, ou du Mont Chenin à proximité de Tours (source : InterLoire) – règne sur la douceur en Val de Loire. Son fruit, à la peau fine et à l’acidité préservée, fait merveille à l’assemblage patient des arômes de miel, de coing, de fleurs blanches, tannées parfois d’épices légères.

Au chenin, la Loire doit l'une de ses signatures les plus éclatantes :

  • Coteaux-du-Layon (980 hectares en production en 2022 – Source : Agreste)
  • Bonnezeaux (seulement 95 hectares, mais une renommée de géant)
  • Quarts-de-Chaume (28 hectares sur 56 hectares classés Grands Crus de la Loire, AOC depuis 1954)
  • Vouvray moelleux, Montlouis-sur-Loire, Jasnières parfois

Dans ces terres splendides, le chenin magnifie le caractère aérien de la Loire : il garde sa fraîcheur lorsqu’il se fait moelleux, parfois liquoreux, porté par la pourriture noble (Botrytis cinerea) ou le passerillage. Un jeu fragile, un équilibre d’alchimiste où la vendange se fait à la main, par tries successives, au fil de la maturité.

Les dissidents : la Loire moelleuse peut-elle s’affranchir du chenin blanc ?

Mais dans ce royaume du chenin, la Loire a ses francs-tireurs. Les moelleux ligériens ne sont pas tous nés d’un même pied de vigne. Leur histoire se niche dans une mosaïque de cépages parfois oubliés, parfois exilés.

Muscadet et Folle Blanche : douceurs du pays nantais

Entre les bras de la Sèvre et de la Loire, le Melon de Bourgogne (le fameux Muscadet) ne donne que très rarement naissance à des vins moelleux. L’appellation « Muscadet » interdit d’ailleurs les vins doux en AOC (source : Institut National de l’Origine et de la Qualité – INAO). Cependant, quelques producteurs tentent des cuvées issues de raisins surmûris, ou de passerillage, hors appellation, souvent sous l’IGP Val de Loire. Le cépage Folle Blanche, davantage connu pour son rôle dans l’élaboration du Cognac et de l’Armagnac, fut parfois utilisé pour des blancs doux, mais ces pratiques sont très résiduelles et confidentielles.

Chasselas, Romorantin et Sauvignon… sourires doux dans le Centre

Sur les coteaux du Loir, plus au nord, le chenin partage la lumière avec le chasselas. S’il est surtout voué à des blancs secs (Pouilly-sur-Loire en tête), il existait autrefois, dans des millésimes chauds, quelques vins à la douceur naturelle, vendangés tardivement.

Le romorantin, cépage rare du Cour-Cheverny, donne parfois naissance à des cuvées moelleuses lors d’années solaires. Mais là encore, il s’agit d’exceptions, encouragées par le désir de sortir des sentiers battus et de jouer sur la richesse du fruit – on notera, par exemple, quelques cuvées non conventionnelles chez Villemade ou dans la famille Gendrier.

Quant au sauvignon blanc, présent à Sancerre ou à Touraine, il n’est traditionnellement employé que pour des blancs secs. Quelques vignerons osent toutefois des fantaisies moelleuses (La Grange Tiphaine à Montlouis, par exemple), mais elles demeurent de francs OVNI.

Le cas particulier du Gewurztraminer, du Viognier, et autres raisins de passage

Si l’on croise du gewurztraminer — ou du viognier — dans un verre doux ligérien, c’est l’audace d’un vigneron en quête de nouvelles émotions. Rien d’orthodoxe, souvent hors cadre AOC, mais l’on touche ici à l’expérimentation créative bien plus qu’à la tradition. Il s’agit, la plupart du temps, de micro-cuvées ou de vins de France, parfois destinés à une clientèle en quête d’originalité ou d’exotisme.

Législation et cahiers des charges : la force des règles… et des marges de liberté

Dans la Loire, les vins moelleux bénéficiant d’une appellation d’origine contrôlée (AOC) sont quasiment tous issus à 100 % du chenin blanc. Les décrets d’appellation sont nets : impossible de convoquer le sauvignon ou le melon de Bourgogne dans un Coteaux-du-Layon, un Quarts-de-Chaume, un Vouvray moelleux.

Pour les IGP Val de Loire, l’éventail des cépages autorisés s’élargit, mais la part des vins doux reste anecdotique : en 2022, moins de 2,5 % du total des IGP Val de Loire ont été revendiqués en moelleux ou liquoreux (source : InterLoire).

  • Coteaux-du-Layon AOC : 100 % chenin
  • Vouvray moelleux : 100 % chenin
  • Montlouis-sur-Loire moelleux : 100 % chenin
  • IGP Val de Loire : ouverture possible à plusieurs cépages (melon, sauvignon, chardonnay, grolleau gris, pinot gris…)

Les vieilles vignes, parfois en co-plantation héritée d’un autre siècle, recèlent encore de minuscules pourcentages d’autres cépages blancs, mais les tris à la vendange et le suivi des plantations garantissent en pratique la pureté du chenin dans les vins doux AOC.

Pourquoi le chenin blanc s’impose-t-il tant ?

La magie du chenin réside dans son aptitude à l’équilibre : il conserve une vivacité intacte même à maturité extrême, là où d’autres cépages s’alourdissent. Cette acidité naturelle lui permet d’englober la douceur du sucre sans tomber dans la lourdeur ou la mollesse. En résulte une capacité de garde rare pour des vins moelleux : certains Vouvray liquoreux du XIXe siècle se dégustent encore aujourd’hui avec fraîcheur (référence : Dégustations Verticales de François Chidaine, Source : La Revue du Vin de France).

Les chiffres traduisent l’évidence :

  • En 2022, 97 % des volumes de vins moelleux produits en Anjou et Touraine proviennent du seul chenin (InterLoire, chiffres officiels).
  • À l’échelle du Val de Loire, plus de 1200 hectares de chenin sont dédiés à la production de moelleux et liquoreux.

Si le chenin a conquis son territoire, c’est aussi parce qu’il épouse à la perfection les conditions locorégionales : alternance solaire et brouillards matinaux, reliefs de schistes et de calcaires propices à la surmaturation et à la botrytisation sans excès de dilution.

Évolutions et “nouvelles douceurs” : que nous dit l’avenir ?

De plus en plus, la Loire interroge sa palette. Face au réchauffement climatique, certains vignerons taquinent d’autres pistes : vendanges plus précoces, essais sur de vieux cépages retravaillés. On observe une recherche de nouveaux équilibres aromatiques, parfois moins sucrés mais plus frais, qui pourraient voir émerger, qui sait, un retour d’anciens cépages endémiques comme le menu pineau (source : La Revue du Vin de France).

Les vins moelleux de Loire, longtemps pensés comme l’apanage exclusif du chenin, pourraient peut-être, demain, recomposer leur faune variétale. Mais les chiffres, la tradition et la législation font que le chenin reste, aujourd’hui encore, la pierre angulaire de cette douceur ligérienne.

Car la Loire reste un fleuve vivant, qui inspire parfois, de ses rives humides, des envies d’expériences. Mais la beauté de ses vins moelleux, c’est aussi la fidélité d’un cépage qui sait incarner le lieu, la main et la patience. Derrière chaque verre doré, c’est toute la Loire – et pas seulement le chenin – qu’on sent frémir, mais c’est toujours lui, ou presque, qui chante le plus fort.

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